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La libération des animaux – Le vegan non-pratiquant

Les récits de la Liber-thé sont des séries d’articles dans lesquels des rédacteurs de toute la francophonie nous parlent de la liberté sous ses diverses facettes. Dans cette série Constance Péruchot nous parle de la libération des animaux. Pour elle, l’on ne peut libérer les animaux que si l’on comprend sa propre liberté.

«Je n’ai pas envie de savoir», «Laisse-nous manger ce qu’on veut», «C’est la tradition», «Ce n’est qu’un animal»

Je souhaite vous emmener en voyage à travers les phrases anodines qui me sont devenues difficiles à entendre. Difficiles parce que l’on prend conscience de la réalité, de ce qu’elle implique et qu’il n’est finalement plus possible de faire «comme si de rien n’était”.

Depuis quelques années, je me suis engagée pour les libertés, celles d’aller et venir, de consommer, d’exercer le travail que l’on souhaite, d’être propriétaire de son corps, etc. Dans le même temps, j’ai poussé mes recherches sur la condition animale. Et on m’a souvent dit que libéralisme et condition animale étaient des antonymes. Pourtant je ne le pense pas, et j’aimerais le montrer dans mes récits.

J’ai récemment entendu une phrase lors d’une soirée, près du buffet, qui m’a interpellée. Une personne m’a indiqué rapidement être «vegan non pratiquant». Le flux des conversations ne m’a pas permis d’en savoir davantage sur cette confession à ce moment, mais cela illustrait pour moi la situation dans laquelle se trouvent actuellement notre réflexion et notre considération envers les animaux. Il existe aujourd’hui un décalage : d’un côté, nous sommes conscients que le traitement des animaux, en particulier dans les élevages, ne respecte pas leurs capacités cognitives et leurs besoins physiologiques, d’un autre côté leur exploitation s’est ancrée dans notre culture et nos pratiques alimentaires.

Le plaisir de consommer les animaux passe majoritairement au-dessus de considérations éthiques dont les bases sont de plus en plus claires. Et c’est ainsi qu’on admet volontiers être contre l’exploitation animale, mais sans appliquer les principes de cette conviction, en étant «non pratiquant». La liberté de consommer et la liberté d’entreprendre surpassent-elles les revendications en matière de libération animale ? C’est là toute la question que pose le libéralisme face à la condition animale.

Des études scientifiques ont montré ces dernières années les aptitudes cognitives et relationnelles des bovins, cochons, volailles, caprins. Leur capacité à reconnaître des individus, à composer des groupes sociaux, à interagir. Pourtant, leur élevage – donc leur réduction à l’état de denrées alimentaires – ne fait qu’augmenter à travers le monde, avec une production annuelle passée de 71 millions de tonnes en 1961 à 341 millions de tonnes en 2018[1]. Cette production demande des cadences plus élevées, donc des conditions moins adaptées aux animaux et une mise à mort industrielle pouvant aller jusqu’à des milliers de têtes par jour dans un abattoir. Mais cela, personne n’y pense vraiment devant un buffet composé de saucissons, fromages, quiches, etc.

Le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne énonce dans son article 13 la nécessité de prendre en compte «le bien-être des animaux en tant qu’êtres sensibles». La notion de sensibilité et de bien-être, a été reprise dans les législations de plusieurs pays. Mais le bien-être semble avoir été anthropisé, il suit les limites des conditions de production et des impératifs du marché. Il en est ainsi du transport des bêtes, des cages de mise bas des truies, de la séparation de la femelle et de son petit dès la naissance, etc. Si des avancées légales ont émergé contre les actes de maltraitance et en faveur du bien-être animal dans les exploitations, en pratique, le sort de la majorité des animaux d’élevage n’a pas changé. Parallèlement, le mouvement en faveur de droits communs aux humains et aux autres animaux peine à rallier les soutiens permettant leur définition, simplement parce qu’en pratique, cela n’a pas de sens. Reprenant les bases posées par Peter Singer, ces droits ne signifieraient pas une égalité de traitement (les poules n’iront pas voter), mais une égalité de considération (en matière de souffrance et de conditions de vie).

J’ai finalement retrouvé le «vegan non pratiquant» dans un coin du salon, à cette soirée, afin de m’intéresser à son éthique. En dégustant son morceau de pain, il me disait qu’il trouvait horrible de traiter les animaux de cette manière, « entassés dans des cages, abattus avec une telle violence…». Pourtant, «c’est trop difficile de ne plus manger de viande, mais j’ai réduit !».

«Quelque séduisante, comme philosophie, que puisse être l’anarchie, elle n’est pas réalisable dans un monde d’hommes imparfaits», écrivait Milton Friedman dans Capitalisme et Liberté. Notre liberté est limitée par les responsabilités qui l’accompagnent. En consommant tels produits, en cautionnant telles pratiques sous prétexte de notre liberté, nous prenons la responsabilité de nos actes. Ainsi en est-il de notre consommation élevée en pétrole, qui soutient la Russie ou l’Arabie Saoudite, des régimes où la liberté individuelle n’est pas respectée. De même, notre consommation d’animaux n’est pas exempte de souffrance, d’impacts environnementaux et sanitaires concrets. Ces paramètres sont à prendre en compte dans l’exercice de nos libertés face aux animaux. Il s’agit d’une première réponse à la question de la coordination entre liberté individuelle et cause animale. La quête de rationalité pousse à connaître les conséquences de ses actes et à évoluer en conséquence.

La seconde réponse consiste à faire valoir que seule la société libre permet de défendre des changements pour la cause animale. Principalement, la liberté d’expression est essentielle pour énoncer différents arguments rationnels et efficaces en faveur d’une meilleure condition animale. Henry Spira avait adopté une méthode en ce sens reposant sur 10 principes, et dont l’association L214 s’est notamment inspirée dans ses campagnes[2]. Ces principes reposent notamment sur la compréhension de la société dans son ensemble, le choix d’une cible cohérente, des sources d’information irréfutables, l’évitement de la bureaucratie, etc.

En plus de cette méthode militante, il est également possible de rivaliser avec les industries qui exploitent les animaux, en imaginant une offre alternative. Encore une fois, la possibilité d’entreprendre et la libre concurrence permises par la société libre permettent de faire bouger les lignes en proposant des produits innovants pour remplacer les produits d’origine animale. Dans cette perspective, la stratégie entrepreneuriale agit au niveau micro-économique pour modifier la consommation et avoir un impact durable et efficace.

La libération animale combine donc des éléments de théorie du droit mais aussi des évolutions culturelles concrètes. Un autre modèle est possible et en changeant pas à pas les traitements réservés aux animaux, en proposant des alternatives qui plaisent aux consommateurs, ils deviendront, peut-être, pratiquants ?


[1] www.ourworldindata.org/meat-production

[2] Extrait du livre de Peter Singer, Ethics into Action, 1998. Une traduction est disponible sur le site des Cahiers antispécistes : http://www.cahiers-antispecistes.org/henry-spira/

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